20060408

Prophétie


où l'aventure garde les yeux clairs
là où les femmes rayonnent de langage
là où la mort est belle dans la main comme
un oiseau
saison de lait
là où le souterrain cueille de sa propre
génuflexion un luxe
de prunelles plus violent que des
chenilles
là où la merveille agile fait flèche et feu
de tout bois

là où la nuit vigoureuse saigne une
vitesse de purs végétaux

là où les abeilles des étoiles piquent
le ciel d'une ruche
plus ardente que la nuit
là où le bruit de mes talons remplit
l'espace et lève
à rebours la face du temps
là où l'arc-en-ciel de ma parole est
chargé d'unir demain
à l'espoir et l'infant à la reine,

d'avoir injurié mes maîtres mordu les soldats
du sultan
d'avoir gémi dans le désert
d'avoir crié vers mes gardiens
d'avoir supplié les chacals et les hyènes pasteurs de caravanes

je regarde
la fumée se précipite en cheval sauvage
sur le devant
de la scène ourle un instant la lave
de sa fragile queue de paon puis se
déchirant la chemise s'ouvre d'un coup la poitrine et
je la regarde en îles britanniques en îlots
en rochers déchiquetés se fondre
peu à peu dans la mer lucide de l'air
où baignent prophétiques
ma gueule
ma révolte
mon nom.


Aimé Césaire

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